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« C'est la fin de six années de tâtonnements », écrit Virginia Woolf dans son Journal en juin 1938, « d'efforts, de beaucoup d'angoisses, de quelques extases. » Trois ans avant son suicide, dix ans après l'écriture d'Une pièce à soi, paraît Trois guinées, qui prolonge la réflexion entamée précédemment sur la place accordée aux femmes dans la société et dans la sphère intellectuelle, l'équilibre entre les sexes, la domination masculine.
Construit à l'origine comme un roman-essai incluant le texte de fiction qui deviendra plus tard Les années, Trois guinées est une démonstration brillante qui, sous prétexte de répondre à une question liminaire, « que faire pour prévenir la guerre ? », nous éclaire sur notre propre condition. Nous sommes alors dans le tumulte d'une nouvelle guerre à venir, dans l'antichambre de nouveaux cataclysmes, et Virginia Woolf choisit de mettre en scène sa propre réflexion comme une réponse à une lettre qui lui est soumise. C'est un texte à la portée universelle qui nous est adressé, publié bien en amont de nos parcours actuels mais dont les enjeux demeurent au centre de ce que l'on appelle aujourd'hui les études de genre. Virginia Woolf, qui invoque dans sa réflexion des figures littéraires importantes comme Emily Brontë, H.G. Wells ou Sophocle, nous renvoie à un monde encore aujourd'hui en partie rattaché au nôtre où s'exprime un dilemme majeur : celui des femmes piégées entre un patriarcat qui les étouffe et le modèle capitaliste censé pouvoir les en affranchir.
L'Oeuvre de Woolf est entrée dans le domaine public en 2012, ce qui nous permet aujourd'hui de proposer ce texte essentiel dans une nouvelle traduction de Jean-Yves Cotté, qui poursuit là son travail entamé avec Une pièce à soi. Ici encore, c'est une édition annotée et commentée qui vous est proposée pour pouvoir disposer pour la première fois de ce texte dans des versions couplées numérique et papier en français. Jane Walker l'a écrit dans une lettre envoyée à Virginia Woolf en septembre 1938 : « Trois guinées devrait être entre les mains de toute créature de langue anglaise, homme ou femme ». Jean-Yves Cotté nous guide pour élargir cette recommandation au-delà de la seule langue anglaise.
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On sait que ce texte surgit comme d'un champ de ruines. Un jeune type dégingandé de 22 ans, qui a raté ses études, y compris le sacrifice fait par sa famille qui voulait l'envoyer faire médecine en France, qui vient de perdre sa mère d'un cancer mais a été mis au ban de sa famille pour avoir refusé toute prière ou simagrée religieuse, qui s'adonne à la boisson et préfère surtout chanter comme ténor, ce qui ne nourrit pas.
Dans cette crise, la légende veut qu'il rédige en un jour l'esquisse de ce portrait où tout se fait sur le mode autobiographique, mais détourné, et la langue prise dans le déferlement joyeux qui sera plus tard la marque du "Finnegan's Wake".
Destin bousculé aussi pour le manuscrit, réécrit depuis l'exil à Trieste, entre pauvreté et boisson, puis détruit lors d'une dispute conjugale, il paraîtra en 1915 en revue, et l'année suivante en livre. Il est l'atelier par où s'amorce l'explosion de Joyce. En restant au plus près de la matière autobiographique, le collège jésuite de ses apprentissages, une mise à nu insolente, presque dadaïste si le rapprochement n'était pas si incongru, de la bonne vieille société irlandaise. Un geste libre, qu'il nous faut réapprendre à considérer depuis tout ce que nous avons appris depuis lors des possibles excès de la littérature.
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Melville savait-il, écrivant Bartleby, l'immense destin de son copiste ? Aborder un texte dont on sait qu'il a basculé la littérature tout entière, en tout cas un siècle et demi de littérature...
"Ou bien : n'est-ce pas notre propre histoire, mais notre histoire tout entière, celle des grandes villes dont Manhattan est l'emblème, celle de l'holocauste et ces silhouettes réduites à l'infini silence, et tous les fouilleurs de littérature qui, comme Franz Kafka, ont ajouté à Bartleby des frères puînés, qui ont donné après coup (pour reprendre le titre de Blanchot) sa vraie dimension à Bartleby ?
De bout en bout, c'est un récit de la mort, sur la mort, avec mort autant qu'un récit sur la ville, et une définitive allégorie sur la vie de bureau - ce que nous portons de mort en nous, que nous nions et qui nous emporte. Bartleby ne serait pas cet universel sinon. Mais c'est précisément ce qu'on ne peut nommer, et qu'il faut aborder par des figures. C'est cela, peut-être, qu'on nomme littérature.
Alors, quand toute cette machine est prête sous vos doigts, qu'on les entend crier dans leur marmite, qu'on voit la ville et qu'on s'en remémore les odeurs, alors oui se risquer à disparaître dans l'écart des deux langues, s'effacer pour traduire - comme raconter, au mot à mot, mais attentifs d'abord à la marche narrative, aux strates, aux jeux, aux images si étonnement visuelles - quand bien même la fenêtre ne donne que sur le mur de briques noircies. Attentifs aux attentes, aux lourdeurs, aux virages, aux reflets, aux coups. Et tout aussi bien à la mince figure abstraite, au milieu, omniprésente, et qui avale tout le reste. Raconter, parce qu'on nous raconte.
Aimer Melville, aimer New York. Craindre Bartleby.
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Il marche, comme nombre d'hommes et de femmes migrant d'une frontière à l'autre, la perte de ses papiers d'identité le confine à l'errance. Qui est-il, où va-t-il, quel est son nom pour commencer ? Mystère. Voilà à quoi l'on est réduit aux yeux de l'administration : quelques dates, un coup de tampon, un nom. Une empreinte. Mais la vie, la singularité d'un être, sa sensibilité, ce n'est pas réductible à ces quelques données. Ça déborde.
C'est le point de départ de cette enquête qui nous mènera hors des sentiers battus de notre époque, et de la parole : une crue intérieure qui pousse le corps à se mouvoir. De là à arpenter le monde par son envers, tâcher de retrouver un nom qu'on a perdu, vivre au niveau du sol avec comme seuls compagnons les ami·es de passage et les rats, il n'y a qu'un pas. Et tant d'autres.
Dans ce roman résolument politique, poétique, qui sait placer lecteurs et lectrices à la place de l'autre, qui mesure l'écart entre les mondes autant qu'entre les langues, se dessine peu à peu la figure du fantôme nuisible en quoi notre glaciale époque peut potentiellement métamorphoser tout un chacun au premier soubresaut géopolitique venu : d'un côté pas vraiment immigré, de l'autre pas tout à fait émigré. Quelque chose entre les deux. Une sorte d'Ulysse cherchant non pas à retourner chez lui mais en. Un emmigré.
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Quel est le nom de cette ville qui brûle en moi ? Que ce soit lors de ses errances citadines, ses voyages souterrains ou hors la ville, Christophe Grossi aime observer ce qui nous relie ou nous oppose. Au fil des rencontres fugaces ou vivaces, des moments de tension ou d'apaisement, il s'interroge sur notre présence au monde, notre immobilité en mouvement et nos désirs de fuir. Si la ville fascine, elle peut griser aussi. Et dans nos va-et-vient, comment habiter les lieux traversés, quel que ce soit le mode de transport choisi ?Dans ce récit qui procède par fragments, où les voix convergent et se complètent, une galerie de portraits se construit. Une nouvelle carte apparaît, faite d'itinéraires réels ou imaginaires, le long desquels les absents hantent les vivants. Et chaque trajectoire prend la forme d'un possible soubresaut. La ville soûle n'est pas un récit de voyage au sens propre : c'est une métamorphose.
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Je suis en moi comme dans un pays étranger.On peut naître à soi-même à déjà 38 ans, sans savoir qui on a pu être avant. Avant quoi ? On peut recevoir un jour un mail d'une prétendue soeur dont on se sait dépourvu et espérer sa présence. Pourquoi ? On peut enquêter sur des identités suspectes qui semblent fictives sans parvenir à savoir si ces femmes, soupçonnées d'ébahissement, sont ou non une menace pour la sécurité de l'État. Comment ? Ces personnages, et bien d'autres, se rencontrent, se cherchent et se découvrent dans le monde de Soeur(s). Il est aussi le nôtre, celui dont le réel a très largement rattrapé les dystopies et les anticipations de la fiction. Celui qui a fait de la solidarité entre les êtres un délit. Se jouant des genres et des registres, mélangeant l'enquête avec le politique, la technologie et la comédie, la philosophie et la sensualité du désir amoureux, les personnages de Soeur(s) osent réinventer des espaces de vie dans lesquels l'espoir de la fraternité et de la sororité est possible. Dans cette polyphonie de voix, le mystère de l'identité à l'ère de la surveillance généralisée se reconnecte à son essence première : l'humanité de celles et ceux qui se demandent, bien plus légitimement que les services de police, qui suis-je ?
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Dans son premier roman Soeur(s) (2020), Philippe Aigrain proposait, sur le mode de l'anticipation chorale, « un conte technique opérant à la fois facétieusement et à très grande profondeur (...) sur les technologies de surveillance » (Hugues Robert, librairie Charybde). Jachère, second roman auquel il travaillait encore quelques jours avant sa disparition, et commencé au début de la pandémie de Covid-19, va plus loin dans son exploration d'un futur plus meurtri encore, mais jamais exempt de douceur.
Le roman nous place dans un temps d'après le chaos. L'humanité, dévastée par des années de guerres, ravagée par les virus est au bord de l'extinction. C'est dans ce contexte que se rassemble une petite communauté. Ils et elles sont douze. Ensemble, ils arpentent les champs de bataille qu'ont laissé dans leur sillage les robots tueurs. Ensemble, modestement, ils tentent de réamorcer les rouages de la civilisation. Tout se complique lorsqu'ils commencent à converser avec des machines militaires fatiguées d'avoir oeuvré tout ce temps à détruire. Peut-on envisager de reconstruire avec elles ?
La quête fixée par ce petit groupe est plus humble que celles qu'on trouve généralement dans les récits post-apocalyptiques. L'enjeu est moins le survivalisme individuel que la survie des communautés humaines, l'entente entre les hommes, les femmes et les non-humains.
Inspiré par des penseurs tels que Philippe Descola ou Gilbert Simondon, Philippe Aigrain dans ce deuxième roman d'une grande délicatesse chemine avec des littératures qui ont contribué à former son regard et son écriture. Ainsi Marielle Macé, Nastassja Martin ou Bérengère Cornut peuvent être invoquées. Le tout illustré par Roxane Lecomte qui prête vie aux montagnes slovènes, véritable actrices à part entière du récit. Sans oublier Marie Cosnay, dont Jachère doit beaucoup, et qui prolonge la lecture d'une postface émue.
L'humanité, dévastée par des années de guerres, ravagée par les est au bord de l'extinction. C'est dans ce contexte que se rassemble une petite communauté. Ils et elles sont douze. Ensemble, ils arpentent les champs de aigrain bataille qu'ont laissé dans leur sillage les robots tueurs. Ensemble, modestement, ils tentent de réamorcer les rouages de la civilisation. Tout se complique lorsqu'ils commencent à converser avec des machines militaires fatiguées d'avoir tout ce temps à détruire. Peut-on envisager de reconstruire avec elles ? jachère Loin du survivalisme individuel, l'enjeu du roman de Philippe Aigrain tient plus à la survie des communautés illustrations de roxane Lecomte humaines, l'entente entre les hommes, les femmes et les postface de marie cosnay non-humains. Le tout illustré par Roxane Lecomte qui prête vie aux montagnes slovènes, véritable actrices à part entière du récit, et accompagné par Marie Cosnay, qui prolonge le récit d'une postface émue. -
Voici Claude Ponti rageur, secoueur, poete. Claude Ponti devant la nuit remplie de questions, des plus urgentes du present, aux plus originelles de l'enfant.
On ne contourne rien, ici, du passe, de l'origine, du sens - et qui fut la premiere mere, et quel fut le premier nom. Et si on ouvre grand ces questions, on est vite aussi sur le terrain du risque, avec les superstitions, le vivre ensemble ou la detresse au quotidien, plus la grande moquerie par quoi, finalement, on est capable de tenir et de continuer.
Mais Ponti reste Ponti. C'est la grande obscurite de Rabelais, avec listes et accumulations, avec du rire et de l'obscenite, et tout ce dont nous sommes faits. C'est cru, c'est violent, c'est resolument « adulte » - mais c'est le meme rire et plein de sourire, jusqu'au bout, lorsque Claude Ponti demande, a l'avant-derniere page : « Depuis quand le desespoir est-il habitable ? » Rarement l'impression, dans ce jeu fou de langue parfois jusqu'a la fusion, d'un texte aussi prodigieux, aussi necessaire. Une mise a nu, un poeme, un cri, tout cela a la fois : et c'est beau comme nous le sommes.
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Comme chaque soir, avant de partir, de quitter la classe vide, avais fait un rapide tour de la salle pour m'assurer que tout était en ordre ou du moins que le désordre était raisonnable... » Nous voilà immergés dans le quotidien, voix, geste, parole, d'un instituteur d'école primaire, dans un village de l'ouest, sous ciels d'estuaire. Pas la première fois qu'un récit s'y ancre pour laboratoire de l'imaginaire, des rêves, magnifique poste d'observation.
Et point crucial de la transmission, des frictions sociales. Et puis il suffit d'une phrase, trouvée sur la table d'une des petites élèves, un coeur découpé dans le cahier de textes, "je t'aime maman passe que tu et la plus belle" - c'est ici, dans la classe même, dans cette heure qui suit le départ des élèves, que l'instituteur reçoit les parents d'élèves.
Et c'est le biais ici pour ces portraits au plus sensible de notre présent, ses contradictions et ses illusions, sa générosité et ses désespoirs. Et chaque micro-chapitre est l'arrachement bref d'une silhouette ainsi sculptée dans son humanité même, "père de...", "mère de...", grands-parents parfois, à même leurs peurs ou leurs dérives (avec zeste parfois de physique quantique, croyez-le ou pas).
L'instituteur, dans l'autre versant de sa vie, s'en fait l'écrivain, le recompose par la fiction qui fait surgir visages et paroles, récit en miroir de nous-mêmes - compte l'ouverture au temps. Claude Simon donne ici, en exergue, le défi : "pour l'écrivain ou le peintre [...] l'émotion est inséparable du matériau qu'ils travaillent (et qui les travaille)".
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Le narrateur arrive en Suisse, au bord du lac Léman, pour y séjourner. On n'en saura absolument pas plus sur lui-même. Sa passion à écrire, son enquête sur Rousseau, ne sont pas un prétexte suffisant pour l'ampleur du récit. L'eau sans doute est importante. Jean-Pierre Suaudeau est d'ouest, il habite la région nantaise, est instituteur dans un village des marais qu'a si bien décrit Julien Gracq dans La Presqu'île. C'est plutôt chez Claude Simon qu'il faut chercher son horizon de langue : l'ampleur parfois lyrique de la phrase, l'attention aux signes, aux objets, aux dispositifs de représentation, et la volonté aussi de ne jamais rien laisser s'installer de stable. La phrase se casse, le récit s'ouvre, sa teneur poétique est scrutée dans l'intérieur des mots.
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Qui est Robin Sonntag ? Informaticien au sein d'une société secrète, il oeuvre à sauvegarder les savoirs de l'humanité via un réseau d'algorithmes répartis sur des millions d'ordinateurs et d'appareils domestiques.
Qui est Alice Barlow ? Celle que Robin ne parvient pas à oublier, et qu'il ne veut pas souiller de sa virilité toxique. Ne pouvant couper aucun pont avec elle dans ce monde hyperconnecté, une idée lui est venue : celle de détruire Internet pour ne plus avoir de lien, même potentiel, avec elle...
Dans ce roman d'un nouveau genre, capable à la fois de faire chanter les protocoles régissant les réseaux immatériels et suivre le cheminement des données giclant de câble en câble, Joachim Séné réalise dans l'écosystème littéraire ce que tout un chacun expérimente en ligne : il fait oeuvre de navigation. Dystopie au présent, L'homme heureux synthétise le meilleur et le pire du web encapsulés sous la forme d'un roman à flux tendu qui "écrit les âges sombre du futur avec des bâtons de bergers étrusques".
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On aime se rappeler les temps anciens où l'on croyait encore aux apparitions. Elles auraient eu lieu, à quelques mètres près, toujours au même endroit, au bord du canal qui longe le village.Au canal, on y va comme d'autres iraient de l'autre côté du miroir, avec l'idée de se rapprocher des zones troubles de la vie. C'est là, aux lisières des forêts, à la surface des eaux, dans ces interstices où prennent racine les contes, que la fiction s'instaure.Dans ce roman de l'ombre qui fait de la lumière l'enjeu de toute chose, Marie-Laure Hurault fait de chaque scène un tableau. Tout au long de ce périple, les montages photographiques de Frédéric Khodja font plus qu'accompagner le récit : ils tissent un réseau de perspectives et de correspondances qui mettent l'espace à la jonction des regards.Récit de violences, récit de douceur, récit des limbes à mesure qu'on les sonde, Au canal est peut-être l'expression littéraire la plus proche d'un cinéma recomposé par l'écriture. Doublé d'une invitation à se perdre, et par là-même à se trouver.
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Laissez le vent souffler ; laissez le pavot se semer lui-même et l'oeillet s'accoupler avec le chou. Laissez l'hirondelle construire son nid dans le salon, le chardon jaillir du carrelage, le papillon profiter au soleil du tissu fané du fauteuil. Laissez les débris de verre et de porcelaine dormir sur le gazon, et qu'ils s'entortillent d'herbes et de ronces.
Kew Gardens * Le temps passe * Une maison hantée * La Marque sur le mur * Lundi ou mardi * Un roman non écrit * Le Symbole * La Ville d'eau : huit nouvelles comme autant de facettes de Virginia Woolf, proposées ici dans une nouvelle traduction de Christine Jeanney.
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Beauté violente de la prose. Tout ce qu'on y reconnaît du monde, le nôtre : la nuit sauvage des villes, les gares quand on en a perdu le nom, les bords d'autoroute et ces discussions face à face quand le lendemain les yeux qu'on revoit n'ont plus de nom ni de visage.
Comme dans le début du Bruit et la fureur, de Faulkner : un temps simultané, juxtaposé, où tout se chevauche. Et la littérature se saisit à bras le corps des lois du rêve et les contraint à la discipline narrative - on est dans le réel, et pourtant pas. Tout est cohérent à échelle de la phrase qu'on lit, mais s'engouffre à nouveau dans le cauchemar dès qu'on tourne le virage paragraphe.
Dans ce texte, les lois du rêve contraignent l'errance dans les villes, et le réel. On a échangé ses noms, on a enterré des souvenirs, on porte des amours impossibles, on croise des enterreurs de morts. C'est donc un fou qui voit, qui parle ? Ou bien, ces narrateurs, la prison et la violence, l'exil, les ont-ils condamnés à cette vision décalée, parce qu'eux voient juste, mais qu'ils ne comprennent pas ce qu'a fait d'eux le monde ?
Qu'on le lise dans l'abandon, ce magnifique texte lyrique de Marie Cosnay. Qu'on le lise pour toutes ces histoires qui s'enchevêtrent, où on reconnaîtra vite les pistes. Laissons venir à nous la puissance de ces paysages à peine brossés, sitôt remplacés, tout est mobile, comme dans le rêve.
Alors le monde qui nous entoure, celui de l'exclusion, celui des trafics, de l'argent et de la violence, se réorganise en lent décor derrière. Il y a les mules qu'on force à passer les douanes l'estomac chargé de cocaïne ou de diamants, et parfois la poche crève. Alors, dans la puissance de l'évocation, nous nous retrouvons nus à même le monde que nous préférons ne pas voir, le nôtre cependant.
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Ce recueil articule entre elles quatre formes brèves, Elles en premier toujours, Wagon, Artisans et Musaraignes. Le lecteur y croise des personnages en marge de toute norme, tous plus pathétiques les uns que les autres, aux trajectoires et aux projets sans avenir encore plus improbables qu'eux-mêmes, et pourtant. D'avoir trébuché, un jour que l'on ignore, ils ne se relèveront pas, ou alors d'une manière si imprévue que chacune de leurs heures est matière à fiction, comme une histoire condensant en soi tout le drame qu'il y a à être eux. Sans jamais trop désespérer, chacun trouve la grâce de l'abîme, continuera ses acrobaties en cours de chute. « Elles courent et sans relâche le péril guette, tapi dans l'ombre, patient, et qui les force à danser contre cette fatalité, et elles ne vont pas y échapper, il ne faut pas croire. Ont beau courir, où qu'elles aillent, elles y courent tout droit. Et le monde les regarde courir, danser. Et moi donc, moi avec. »
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« et s'il le faut dirais-tu nous inventerons des poèmes barbares et des bûchers où vous nous jetterez parce que nous allons perdre nous le savons que nous perdrons et de ces bûchers dis-tu sortiront le feu noir et l'encre des livres à venir ».
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C'est à Aubervilliers, à l'intersection des routes qui vont vers Gonesse, Saint-Denis ou Montmorency - le quartier s'appelle le Globe. Autant dire, la terre entière. Et elle est bien là : immigrations rejetées au bord de la ville tentaculaire, la ville en pleine expansion qui ici construit ses laveries, ses usines, entasse ses déchets.
Dans ce mouchoir de poche, un enfant rêve à l'origine du nom, et va voir grandir le sien. Même pas déformé en "Deninx" comme Jean, le comédien, qui tournerait dans les films de Prévert.
Mais où on reconnaît l'inimitable façon de Daeninckx, c'est que, dans ce territoire de la ville où tout condense, c'est l'Histoire tout entière aussi qu'on traverse. La guerre de 14-18 et ceux qui refusent d'obéir, le Front Populaire et l'aventure du Parti communiste, la Résistance et le mouvement anarchiste, enfin la guerre d'Algérie et l'irruption du présent. Avec pour soubassement les usines d'automobiles Hotchkiss ou les chaudières Babcox, et ceux qui font de l'urbanisme leur chasse gardée, les baraques ouvrières croisant soudain le promoteur immobilier Grindel et son fils Paul Éluard.
Il restera longtemps dans la tête, après lecture, le petit enfant infirme, ou chacun de ces portraits d'une épopée minuscule, l'épopée des humbles, où Daeninckx n'a qu'à puiser dans sa propre autobiographie.
Et que cette histoire est aussi la nôtre, est forcément la nôtre.
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Invariablement, chez Didier Daeninckx, le travail de mémoire conduit aux parts sombres et bousculées de la mémoire collective.
Mais elle surgit là, d'un coin presque à l'abandon en plein front de l'expansion de la ville.
Une fille qui remonte en vélo du parc de la Villette à l'Île Saint-Denis, lieu emblématique ou croisement des fictions et de l'autobiographie de Didier Daeninckx, et tout embraye.
Tout ? La guerre d'Algérie et ce qu'on n'en a pas encore démêlé ou reconnu. Mais ici Guy Debord, ses Hurlements en faveur de Sade et la fondation de l'Internationale Lettriste.
Tout ? Les vielles photographies, les magouilles d'urbanisme, une infirmière dans un centre de soins en banlieue. Mais tout d'un coup cela peut percuter le monde de l'art et des galeries, Doisneau qui marche, ou une ébauche de Matisse laissée sous ce papier peint de la maison qui va disparaître. Ou les manifestations du temps de Messali Hadj et du journal L'avenir du prolétariat. Parce qu'ils seraient là à titre d'enquête ou de documentaire ? Non, parce que la poésie particulière à Daeninckx est faite de tout cela, qui est sa relation au monde, indissolublement - et c'est bien cette poésie qui d'abord emmène le récit.
Daeninckx a toujours tissé ce fil : jamais loin de l'autobiographie (l'autobiographie intellectuelle de celui qui pense libre, et pour cela reconnaît sa dette à tous les éclaireurs), toujours au plus près des lieux, de l'affiche au coin de la rue, du tag qui reste sur le coin de mur, et toujours, dans la fiction même, dans cette croisée improbable des éléments réels. Attendez voir, il vous attend pour cela lui-même dans un étrange et fort appendice, tout à la fin du récit, sur le modèle des Je me souviens de Perec.
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Cathie Barreau mène depuis longtemps son oeuvre d'écrivain en parallèle d'une forte implication dans le domaine des ateliers d'écriture.
Une résidence d'écrivain, c'est avant tout un partage. Un fragment complexe de réel, avec toutes ses contradictions humaines et ses émotions, et l'intervention de l'auteur, le jeu permanent de miroir qu'induisent ses textes, déstabilise la donne. Pour l'écrivain, en retour, littéralement une mise au monde : son expérience dans la langue est au travail dans ce réel même, invisible sinon.
Ville-Évrard est un des plus grands établissements psychiatriques de l'île de France. Il a accueilli quelques patients célèbres, dont Camille Claudel et Antonin Artaud bien sûr. L'équipe de soignants y a déjà accueilli, ces dernières années, d'autres écrivains.
Dès le départ de cette résidence, Cathie Barreau annonce sa forme : un journal de voyages. Le voyage qu'elle fait de Nantes à l'hôpital. Le voyage qui s'établit, de visite en viste, entre elle et les patients qui écrivent. Journal qui mêle le retour sur soi à l'observation directe, des paysages, des lieux, des choses. Et bien sûr les paroles, le trouble des paroles, l'intensité des relations mises en travail, côté patients, côté accompagnants, côté soignants.
Au terme du livre, ce choeur étrange et sauvage, si humainement juste, où les voix des patients, des soignants et celle de l'écrivain même resurgissent dans le lieu même qui les a fait sourdre. Il s'agit bien, il s'agit seulement, de littérature. Celle qui nous ouvre au monde, là où les mots n'étaient pas encore. Elle est chemin, expérience, assaut.
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Ma première rencontre avec Keith Richards, j'entends pour l'âge adulte, remonte à 1983 : à Marseille, dans l'auvent d'un bouquiniste, l'achat d'un livre illustré sur la vie des Rolling Stones. Un orage fondait sur moi : oui, le rebelle qui à lui seul incarnait tout le rock avait chanté des alleluiah devant la Reine et probablement, sans cela, ne se serait-il jamais formé l'oreille. L'histoire des Rolling Stones : des morts sous la musique (Brian Jones, Gram Parsons, Meredith Hunter, Ian Stewart), beaucoup d'argent, et ce qui s'écrit par eux de l'histoire de la télévision, de la formation du concept de culture...Pendant des années, j'acquiers systématiquement tout ouvrage ou document se rapportant à leur histoire. De 1996 à 2002, je m'embarque dans l'écriture des 1000 pages de « Rolling Stones, une biographie »... Ces dix ans, un événement considérable : Keith Richards a pris deux ans de sa vie pour rédiger son autobiographie, « Life ». Le paradoxe est le suivant : une oeuvre musicale considérable, celle du groupe, albums officiels, enregistrements détournés des studios, histoire des concerts. Une expérience de vie à la fois extrême et excessive. Et pas forcément les mots pour la dire, puisqu'on n'est jamais qu'un bluesman. Et nous, qui continuons nos petites routes ordinaires, nos bouquins, qu'est-ce qu'on leur a pris, aux grands frères qui se brûlaient les ailes, tout devant ? Qu'avons-nous à déchiffrer, pour nous-mêmes, de leur propre expérience ? Est-ce que ça s'appelle solitude, absence, inquiétude, comme pour nous autres ? Comment expriment-ils le risque, comment vivent-ils l'abîme de cette disproportion des concerts gigantesques ? Voilà comment a commencé l'histoire de ces quatorze Conversations avec Keith Richards. FB
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Informaticien, Joachim Séné décide de quitter son travail pour écrire. Mais les fantômes sont coriaces - chaque c'était, en tête de chaque paragraphe, ira harponner à rebours un des éléments de l'ancienne vie salariée, la vie moderne des bureaux d'aujourd'hui, et leur informatique. Une expérience formelle dérangeante, la netteté de ce qu'on voit, l'abstraction du monde, le quotidien du corps et des paroles, le travail du code, des bases de données, les chefs et le retour chez soi. Ces 53 semaines en 5 fragments, sans jamais dire « je », révèlent une mise en écriture résolue,...
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Un texte violent: approcher la précarité ultime, celles qui n'ont plus rien, au voisinage des tentes de Don Quichotte, au terme des tunnels de la drogue qui les accompagne. Et violence peut-être plus radicale dans le deuxième cahier, quand il est question de son propre chemin artistique. Comment on est reçu, comment on progresse. Ces communautés fragiles qui se créent autour d'une pièce de théâtre, d'un festival ou d'une pratique de rue. Violence par la proximité des visages, le frôlement des corps, les lieux de la précarité extrême, et ces lieux où se chercher soi-même passe par l'expérience des autres: les rave par exemple, ou une nuit sur une plage, ou les coulisses d'un grand festival. La colère de ce texte n'est pas une accusation - son chemin, on se le fabrique et si l'obstacle est plus lourd, on aura d'autant plus de force à le traverser. Dans ce chemin par lequel on chemine soi-même vers une pratique d'artiste, quelle place ou quel statut pour l'expérience directe de l'autre, extrême compris? Quel prix payer, quel trajet prendre On nous parlait autrefois d'engagement, ça résonne comment, quand c'est la société au temps de l'industrie culturelle qu'on arpente? Ces chemins, Marina Damestoy les arpente depuis longtemps. Une implication militante auprès des sans-abri, sans laquelle il n'y aurait pas devenir à ce visage entendu autrefois, et les textes écrits dans l'expérience même. Une implication théâtrale, festivals, arts de la rue, puis un passage à la revue Mouvements. Maintenant, le livre.
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On croit vivre.
Il suffit d'un rien parfois pour que la vie bascule.
Et la chute irrémédiable qui s'ensuit.
Les voit-on autour de nous, tous ces corps tomber ?
Femme à la nature morte dessine le portrait d'une femme qui, un matin, décide de ne plus subir.
C'est le portrait de Lisa, mouton égaré parmi les loups.
Et le sort qu'on lui réserve au troisième millénaire.
C'est un portrait tracé à partir de ce que Lisa raconte, a préféré taire ou inventer, et que le narrateur tourmenté se rappelle, imagine, échafaude.
C'est la reconstitution d'une double chute et d'une seule rédemption.
Ce serait une fiction.
Peut-être.
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Surveillances
Claro, Marie Cosnay, Catherine Dufour, Isabelle Garron, Bertrand Leclair, Cécile Portier, Carole Zalberg
- Publie.Net
- Temps Reel
- 11 Mai 2016
- 9782371774568
Fut un temps où la sauvegarde de nos vies (sauvegarde au sens informatique qu'on lui prête aujourd'hui) était l'apanage des artistes, et notamment des écrivains. Mais, à l'heure de la surveillance de masse, des réseaux sociaux et des algorithmes invasifs, si nos vies sont suivies en temps réel, serons-nous encore capables de les écrire ? Née dans un contexte sécuritaire particulier où, de New York à Paris, sous prétexte de lutter efficacement contre le terrorisme, l'état d'urgence est devenu la norme, cette question nous concerne tous. Parce que la pratique de l'écriture se heurte tout particulièrement à ces enjeux, et dans le prolongement d'un symposium organisé en novembre 2014 dans le cadre du Festival du Film de Lisbonne sur le thème « Créateurs et surveillance », Céline Curiol et Philippe Aigrain ont invité dix écrivains contemporains à donner corps à cette question. D'Orwell à Amazon en passant par les drones espions, Noémi Lefebvre, Christian Garcin, Marie Cosnay, Céline Curiol, Claro, Carole Zalberg, Bertrand Leclair, Miracle Jones, Cécile Portier, Isabelle Garron, Catherine Dufour et Philippe Aigrain s'en remettent à la fiction et au langage pour nous ouvrir les yeux.